Aller au contenu

Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— « Ah, mon Dieu », fit-il, « moi qui voulais être de bonne heure à la buvette… »

Mais la chaleur des couvertures qu’elle avait roulées autour de lui, pendant son sommeil, l’engourdissait encore ; et puis, il n’osait pas se lever tant que la porte n’était pas fermée. À ce moment, elle entra, tenant une tasse fumante et un quignon de pain beurré.

— « Tiens ! Avale ça, et puis décampe : je ne tiens pas à avoir des histoires avec ton père, moi ! »

Il était gêné d’être vu ainsi, en chemise, le col ouvert ; gêné de la voir approcher, le cou nu, elle aussi, les épaules nues… Elle se pencha. Il prit la tasse en baissant les paupières, et se mit à manger, par contenance. Elle allait et venait d’une chambre à l’autre, traînant ses babouches et fredonnant. Il ne levait pas les yeux de sa tasse ; mais quand elle passait près de lui, il apercevait sans le vouloir, à sa hauteur, les jambes nues, grêles, veinées, et, glissant sur le parquet blond, les talons rougis qui n’étaient pas entrés dans les pantoufles. Le pain l’étranglait. Il était sans courage au seuil de cette journée grosse d’inconnu. Il