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Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/145

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— « Alors ?… » dit Daniel, qui songeait au retour.

— « Alors », répliqua Jacques, « j’ai réfléchi : il faut aller jusqu’à Toulon ; c’est à vingt ou trente kilomètres d’ici, par là, à gauche, en suivant la côte. Nous irons à pied, comme des enfants qui se promènent. Et là-bas, il y a des tas de navires, nous trouverons bien le moyen d’embarquer. »

Tandis qu’il parlait, Daniel ne pouvait quitter des yeux le cher visage retrouvé, avec sa peau tachée de son, ses oreilles transparentes et son regard bleu, où passaient les visions des choses qu’il nommait : Toulon, les navires, l’horizon du large. Quel que fût son désir de partager la belle obstination de Jacques, son bon sens le rendait sceptique : il savait qu’ils n’embarqueraient pas ; mais, malgré tout, il n’en avait pas la certitude ; par instants même il espérait se tromper, et que la fantaisie donnerait un démenti au sens commun.

Ils achetèrent des vivres et se mirent en route. Deux filles les dévisagèrent en souriant. Daniel rougit : leurs jupes ne lui cachaient plus le mystère de leurs corps. Jacques sifflotait ; il n’avait rien remarqué.