Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/179

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ouvrière qui sanglotait. D’autres souvenirs s’évoquèrent, Mariette, Noémie… Elle avait l’œil fixé sur le va-et-vient du soulier verni, où s’allumait et s’éteignait tour à tour le reflet de la lampe. Elle se rappela, jeune mariée, ces dîners d’affaires, imprévus et urgents, dont il revenait au petit jour, pour s’enfermer dans sa chambre et dormir jusqu’au soir. Toutes les lettres anonymes qu’elle avait parcourues, puis déchirées, brûlées, piétinées, sans parvenir à atténuer la virulence du venin ! Elle avait vu Jérôme débaucher ses bonnes, une à une enjôler ses amies. Il avait fait le vide autour d’elle. Elle se souvint des reproches qu’au début elle avait hasardés, des scènes prudentes où elle parlait avec loyauté, avec indulgence, ne trouvant devant elle qu’un être dominé par ses caprices, fermé, fuyant, qui niait l’évidence avec une indignation puritaine, puis tout aussitôt, comme un gamin, jurait en souriant qu’il ne recommencerait plus.

— « Ainsi, voyez », poursuivit-il : « je me conduis mal avec vous, je… Si, si ! n’ayons pas peur des mots. Et pourtant je vous aime, Thérèse, de toute mon âme, et je vous respecte, et je vous plains ; et rien