Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/72

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Mme de Fontanin était devenue blême. Elle répéta machinalement :

— « Filé ? »

La jeune femme s’était jetée sur le divan et sanglotait, la tête dans les coussins.

— « Ah, si tu savais ce qu’il a pu me faire souffrir ! J’ai trop souvent pardonné, il croit que je pardonnerai toujours ! Mais non, jamais plus ! Il m’a fait la pire avanie ! Devant moi, chez moi, il a séduit un avorton que j’avais ici, une bonniche de dix-neuf ans ! Elle a décampé, voilà quinze jours, avec ses frusques, à l’anglaise ! Et lui, il l’attendait en bas dans une voiture ! Oui », hurla-t-elle en se redressant, « dans ma rue, à ma porte, en plein jour, devant tout le monde, — pour une bonne ! Crois-tu ! »

Mme de Fontanin s’était appuyée au piano afin de pouvoir rester debout. Elle regardait Noémie, sans la voir. Devant ses yeux, des visions passaient : elle revit Mariette, quelques mois plus tôt, les petits signes, les frôlements dans le couloir, les montées furtives au sixième, jusqu’au jour où il avait bien fallu avoir vu, et renvoyer la petite, qui suffoquait de désespoir et demandait pardon à Madame ; elle revit, sur le banc