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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/195

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ce qui s’est passé en moi depuis un an… »

Il sanglotait si fort qu’Antoine se garda bien de l’interroger. Il avait jeté son bras autour des épaules de Jacques et tenait son cadet tendrement pressé contre lui. Une fois déjà, lors de leur première expansion, dans l’obscurité du fiacre, il avait connu cet instant de pitié enivrante, cette surabondance soudaine de force, de volonté pour deux. Et bien souvent depuis, une certaine pensée lui était venue, qui, ce soir, prenait soudain un relief étrange. Il se leva et se mit à arpenter la chambre.

— « Tiens », commença-t-il avec une exaltation particulière, « je ne sais pas pourquoi je te parle de ça dès aujourd’hui. D’ailleurs, nous aurons l’occasion d’y revenir. Vois-tu, je pense à ceci : que nous sommes deux frères. Ça n’a l’air de rien, et pourtant c’est une chose toute nouvelle pour moi, et très grave. Frères ! Non seulement le même sang, mais les mêmes racines depuis le commencement des âges, exactement le même jet de sève, le même élan ! Nous ne sommes pas seulement deux individus, Antoine et Jacques : nous sommes deux Thibault, nous sommes les Thibault. Est-ce que tu com-