Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/210

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s’appelait Fredi, un autre Will. Lisbeth hésita longtemps à désigner, dans la photographie d’un groupe en uniformes, le gros joujou de bois qui portait ce prénom de Will. — « Ach », dit-elle, en époussetant l’image d’un revers de manche, « il est si noble, si langoureux ! » Elle avait dû aller chez lui, car il y avait une histoire de cithare, de framboises et de caillé, au milieu de laquelle elle s’interrompit avec un petit rire inattendu, et qu’elle n’acheva pas. Tantôt elle nommait Will son fiancé, et tantôt elle parlait de lui comme s’il eut été perdu pour elle. Jacques finit par comprendre qu’il avait été envoyé dans une garnison de Prusse, après un épisode ténébreux et ridicule, dont le souvenir la faisait tour à tour frissonner d’effroi et pouffer de rire : il y avait une chambre d’hôtel au fond d’un couloir dont le parquet grinçait ; mais là, tout devenait incompréhensible ; la chambre devait être située dans l’hôtel même de Fruhling, sinon le vieil oncle n’aurait pas pu, en pleine nuit, poursuivre le sous-officier dans la cour, et le jeter dans la rue, en chemise et en chaussettes. Lisbeth ajoutait, en guise d’explication, que son oncle songeait à l’épouser pour