Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/213

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Ils restèrent seuls. Elle avait mis sur le plateau des tortillons de pâtisserie semés d’anis, qu’elle avait confectionnés la veille à son intention. Elle le regardait déjeuner avec déférence. Il s’en voulait d’avoir faim. Rien de tout cela n’était prévu ; il ne savait à quel endroit raccorder la réalité avec la scène qu’il avait si méticuleusement préparée. Pour comble de malheur, on sonna. C’était une surprise : la mère Fruhling entra, clopin dopant ; elle n’était pas encore bien valide, mais elle allait mieux, beaucoup mieux, et venait dire bonjour à M. Jacques. Il fallut ensuite que Lisbeth l’aidât à regagner la loge, l’installât dans son fauteuil. Le temps passait. Lisbeth ne revenait pas. Jacques n’avait jamais pu supporter la contrainte des circonstances. Il allait et venait, en proie à une contrariété, qui ressemblait à ses colères d’autrefois. Il serrait les mâchoires et enfonçait les poings dans ses poches, il se mit à lui en vouloir.

Lorsqu’elle reparut enfin, il avait la bouche sèche et l’œil mauvais ; il était si énervé par l’attente, que ses mains tremblaient. Il fit mine d’avoir à travailler. Elle expédia le ménage et lui dit au revoir. Penché sur