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Page:Martin du Gard - Le Pénitencier.djvu/269

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— « Est-ce que vous trouvez qu’il a beaucoup changé ? » demanda-t-elle afin de rompre le silence.

— « Non », fit-il ; mais, se ravisant soudain : « Pourtant si, tout de même. »

Elle remarqua ce scrupule, et lui sut gré d’être sincère ; pendant une seconde, il lui fut moins antipathique. Cette fugitive rémission fut-elle perceptible à Jacques ? Il cessa de penser à Daniel. Il regardait Jenny et se posait des questions à son sujet. Il n’aurait pas su exprimer ce qu’il entrevoyait de sa nature ; cependant, sous ce visage à la fois expressif et clos, au fond de ces prunelles vivantes mais qui ne trahissaient pas leur secret, il avait deviné l’instabilité nerveuse et le perpétuel frémissement de la sensibilité. L’idée lui vint qu’il serait doux de la mieux connaître, de pénétrer ce cœur fermé, peut-être même de devenir l’ami de cette enfant ? L’aimer ? Une minute il y rêva : ce fut une minute de béatitude. Il avait tout oublié de ses misères passées, il ne lui semblait plus possible d’être jamais malheureux. Ses regards allaient et venaient autour de la pièce, effleurant Jenny avec un mélange d’intérêt et de timidité, qui l’empêchait