Page:Martineau - Contes choisis sur l economie politique - tome 1.pdf/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il ne doit pas être honteux de sa longue barbe, dit le capitaine, car nous sommes tous dans le même cas. Il y a juste cinq mois qu’on n’a vu ici de rasoir.

— Mais le plus plaisant de l’affaire, dit Richard, c’est que je n’en ai pas rapporté. C’est ce qui a mis M. Arnall si fort en colère. J’en suis vraiment fâché ; mais ne m’étant rasé toute ma vie qu’une fois par semaine, je n’ai jamais pensé à l’importance que les gentlemen attachent à l’être tous les jours.

— Nous aurons de l’indulgence pour quelques omissions, dit le capitaine, si nous trouvons en somme que votre mémoire a été fidèle.

— Je vous prie de vous rappeler, monsieur, que je n’avais pas de liste, à défaut de papier pour la faire. Tout le long du chemin, je me gravais dans l’esprit et je me répétais à moi-même les objets que j’aurais à me procurer ; et enfin je m’avisai que, si je n’avais ni plume ni encre, je pourrais bien trouver une ardoise, et c’est ce qui m’arriva.

— Vous en découvrîtes sur votre route, je suppose.

— Oui, monsieur, j’en trouvai une pièce plate et un morceau pointu, j’inscrivis les divers objets dont je pensais que nous aurions besoin. Quant aux rasoirs, je n’y pensai même pas. Mais il y a une bonne provision de ciseaux et M. Arnall peut se tondre le menton, si nos dames consentent à lui en prêter une paire.

Tandis qu’Arnall inspectait son fusil, l’amorçait et le chargeait, il reprit sa bonne humeur ; et tout en se promenant de long en large, la tête haute, autour du chariot, il offrait un fort bon exemple à ceux qui pouvaient désirer d’apprendre comment une sentinelle doit se comporter. Il ne se mit point en colère contre les petits garçons qui l’imitaient le lendemain matin, jusqu’au moment où l’un d’eux se passa la main sur le menton avec une intention à laquelle on ne pouvait se méprendre. On ne put pas découvrir, cependant, s’ils se moquaient de sa barbe ou du désir qu’il avait de s’en débarrasser.