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de la nécessité des événements. Quand il revint en son pays, à vingt ans, il était déjà l’homme qu’il fut toute sa vie, peu sensible aux émotions profondes, et supérieurement armé pour lutter contre la destinée.

-Vu premier abord, il était bien l’homme de ses lettres, un peu brutal et pesant. Son intelligence très vive n’était ni gracieuse ni aimable. Il manquait totalement de finesse et quand il eut fallu glisser, il appuyait lourdement. Il ne connaissait pas l’art des nuances où se complaisent les natures délicates. Les plaisanteries éparses dans ses lettres, sans être très épaisses, manquent absolument d’élégance et de légèreté[1].

À ces badinages, auxquels on reconnaît l’esprit, même hors de saison, il préférait de beaucoup le ton grave et sérieux des gens qui placent le bon sens au premier rang de nos qualités et ne craignent pas de se complaire dans le culte de la droite raison.

Par une inclination naturelle que rien ne corrigea jamais, il était d’une extrême susceptibilité ; jamais il ne put élever son âme au-dessus de certaines mesquineries. La moindre critique lui tenait à cœur ; la moindre résistance l’exaspérait. Et alors il considérait comme une atta-

  1. On en pourra juger par la lettre suivante écrite à son ami Saint-Georges, au lendemain de sa nomination à Chandernagor (30 novembre 1731).

    « Doucement, mon petit Monsieur, ces termes de « cher » et de « pays » ne vous conviennent plus ; ils étaient bons dans le temps que retiré dans ma solitude, je voulais bien vous y admettre ou plutôt vous permettre quelques familiarités. La fortune vient de changer de face et, tel que Camille, on m’a tiré du labour pour me mettre à la tête d’un nombre de gens blancs ou noirs qui ne feront pas sous mon commandement les beaux faits de ceux que commandait ce consul romain. Ce n’est pas de quoi il s’agit, Je suis chef… n’importe de qui ; vous me devez le respect et je vous conseille de n’en point sortir. Oubliez ces mauvais termes et songez qu’un seul mot de ma part, lorsque vous serez ici, vous conduirait à la fosse aux lions. »