Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

mélancoliques, qui parfois s’exhalaient en vers (VI, 294).

Par un retour singulier, lui, qui en 1550, dans une ode À la Muse, se propose pour modèle un torrent (VI, 1 H),

Alors qu’il saccage et emmeine,
Pillant de son flot, sans mercy,
Le Thresor de la riche plaine,
Le bœuf et le bouuier aussi,

emploie maintenant la même comparaison pour attaquer ses adversaires : « Ils ont l’esprit plus turbulent que rassis, plus violent qu’aigu, lequel imite les torrents d’Hiuer, qui atteignent des montagnes autant de bouë que de claire eau » (éd. de 1623, p. 1658).

On le voit, l’évolution est complète, on croit déjà entendre Boileau (Art poétique, I), quand au « torrent débordé » il préfère

… un ruisseau qui sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène.

Ronsard a eu avec d’Aubigné un entretien précieux pour nous ; moins général que les plaintes adressées à Binet, il a uniquement trait à la langue. Le voici tel qu’il nous a été conservé par l’éditeur inconnu de la première publication des Tragiques (IV, 6) :

« Il (d’Aubigné) disoit que le bonhomme Ronsard, lequel il estimoit par dessus son siècle en sa profession, disoit quelquefois à luy et à d’autres : « Mes enfants, deffendez vostre mere de ceux qui veulent faire servante une Damoyselle de bonne maison. Il y a des vocables qui sont françois, comme dougé, tenuë, empour, dorne, bauger, bouger, et autres de telle sorte. Je vous recommande par testament que vous ne laissiez point perdre ces vieux termes, que vous