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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

Tandis que les commentateurs de Corneille lui attribuaient des expressions qui, loin d’être nouvelles, commençaient au contraire à vieillir lorsqu’il en a fait usage, ils négligeaient d’en noter quelques autres qu’il peut passer pour avoir, sinon créées, du moins introduites dans notre langue : tel est alfange, mot d’origine arabe, qu’il transcrivait littéralement, en 1660, de l’espagnol pour le faire entrer dans le Cid à la place du mot épée. Cet essai assez curieux de stricte fidélité historique ne fut pas fort goûté, et, bien que Corneille ait constamment maintenu sa nouvelle rédaction, on en revint au théâtre à son premier texte.

Le mot Cid, que Corneille avait prudemment accompagné de cette glose poétique (IV, 3) :

… Cid en leur langue est autant que Seigneur.
(III, 170. Cid, 1223.)
fut au contraire promptement compris et accepté.

Parfois notre poète emprunte à la langue espagnole des tournures et des locutions toutes faites. S’il faut en croire Ménage, la phrase donner la main, darse las manos, pour se promettre mariage, se marier, s’épouser, est de ce nombre[1].

Bouhours blâmait cette locution, qui du reste ne s’emploie aujourd’hui qu’avec l’adjectif possessif, donner sa main, et non donner la main ; il critique surtout l’expression prêtez-moi votre main pour feignez de m’épouser, qui se trouve dans Pulchérie (V, 3) et qui est vraiment un peu étrange. Ménage se contente de défendre ainsi notre poète : « J’ai ouï dire plus d’une fois à M. Corneille que ce vers :

Prêtez-moy vostre main, je vous donne l’Empire,
  1. Voyez l’article main dans le Lexique, tome II, p. 65.