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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

le caractère propre de son génie. C’est là le fond commun que nous retrouvons dans les personnages si divers qu’il a fait parler ; c’est de là que procèdent la majesté familière d’Auguste, la fermeté si mâle et pourtant si attendrie du vieil Horace, le courage ému de Rodrigue, l’héroïsme exalté, et pourtant toujours simple et naturel de Polyeucte.

Corneille ne court point après le majestueux et le sublime ; il s’étudie généralement à proportionner son langage aux sujets qu’il traite et aux gens qu’il fait parler ; chez lui la noblesse du style dépend surtout de la noblesse des sentiments. Qu’on écoute Maxime et Félix, on se convaincra bien vite que parfois notre poète abaisse à dessein le style de la tragédie jusqu’au ton le plus vulgaire de peur d’ennoblir, par l’expression, des pensées qui doivent demeurer viles et abjectes. Dans la comédie, il recherche le langage simple de la bonne compagnie, et il nous apprend que ce fut là un des principaux motifs de succès de Mélite :

« La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n’y a point d’exemple en aucune langue, et le style naïf, qui faisoit une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit[1]. »

Voilà, pour la langue, dans tous les genres qu’il a traités, le premier modèle de notre poète : la conversation des honnêtes gens ; cette conversation tour à tour grave et enjouée, qui abordait si résolument les sujets religieux, philosophiques, littéraires, et où, comme dans un combat à armes courtoises, la politesse n’excluait la vivacité ni de l’attaque, ni de la défense.

Ce précieux secours manquait aux prédécesseurs de Corneille, au milieu de ce xvie siècle si intelligent et si agité, où les vertus, les vices, les ambitions,

  1. Tome I, p. 138.