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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

douleurs morales, ne se dit plus que de la souffrance que cause une chaussure trop juste, un vêtement mal fait, ou tout au plus un manque de fortune encore fort éloigné de l’indigence. C’est incommodé qu’on employait en ce dernier sens du temps de Corneille ; il convenait alors aussi bien au peu de richesse qu’au peu de santé ; puis, par une conséquence naturelle, on se servait d’accommodé en parlant d’une personne dans l’aisance.

Beaucoup de mots, qui à cette époque se pliaient à plusieurs significations, se sont, de la façon la plus bizarre, immobilisés et pétrifiés, si l’on ose le dire, dans des sens étroits et restreints : succès, par exemple, s’employait fort bien de la façon la plus générale, sans rien préjuger quant à la nature du résultat, tandis que succéder, pris absolument, signifiait souvent réussir, ce qui n’a plus lieu. Plusieurs termes, dont nous n’avons conservé que des acceptions fort détournées, paraissent dans toute leur énergie étymologique : stupide, stupidité, expriment la stupeur plutôt encore que la lourdeur d’esprit, que le manque d’intelligence ; imbécile signifie faible plus fréquemment que sot ; secrétaire se dit fort bien pour confident ; ressentiment, redite, guindé, et même divaguer, se rencontrent dans un sens favorable ; procurer, au contraire, se prend souvent en mauvaise part ; le divorce n’est pas seulement la rupture du mariage, mais une séparation quelconque ; le mot génie exprime le caractère propre, le naturel de chacun, et n’est pas exclusivement réservé aux intelligences créatrices ; la préoccupation est souvent l’état d’un esprit occupé d’avance par un autre sujet que celui qu’on veut lui proposer, et non pas d’un esprit distrait ; rabaisser, c’est parfois abaisser de nouveau, et non dénigrer ; idée ne signifie fréquemment qu’image ; hôtesse a un sens réciproque qui s’applique aussi bien à celle qui est reçue qu’à celle qui reçoit ; divertir, comme distraire, c’est détourner d’une pensée dominante ; le sens d’amuser