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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

Quelques termes d’ajustements, qu’on trouve dans Corneille, pourraient embarrasser un instant. Nous les avons expliqué dans le Lexique : le tapabord était une sorte de chapeau employé sur mer et en voyage ; la petite-oie, une garniture d’habit ; le galand, un nœud de ruban ; du reste, il suffit de lire la dernière scène des Mots à la mode de Boursault, pour se convaincre que certaines parties du costume des femmes portaient parfois des noms encore beaucoup plus singuliers.

Ce n’est pas seulement sur les dénominations de ce genre que la mode exerçait son empire ; elle changeait tout à coup la signification d’un terme étranger à son domaine et datant des origines mêmes de la langue. Jadis le mot viande s’appliquait à toute espèce d’aliments ; mais à la fin du xvie siècle, la cour, comme nous l’apprend Nicot, introduisit la coutume d’en limiter la signification et de la restreindre à la nourriture animale, désignée jusqu’alors par le mot chair ; Corneille et nos autres grands écrivains tentèrent vainement de lui maintenir un sens plus large : le caprice l’emporta sur la raison.

Si l’examen des œuvres de Corneille facilite singulièrement l’étude de la formation du style noble et la connaissance des acceptions particulières de certains mots pendant le cours du xviie siècle, il nous découvre aussi des sources d’une importance exceptionnelle pour l’histoire chronologique de nos règles grammaticales.

Depuis 1629, date fort probable de Mélite, jusqu’à 1674, époque de la première représentation de Suréna, de profonds changements eurent lieu dans la langue, et l’histoire de la carrière dramatique de notre poète coïncide admirablement avec celle de la constitution définitive du français moderne ; l’étude du sens des mots et de la nature des règles qui doivent les régir occupait les savants, défrayait les conversations des ruelles, et se faisait place jusque dans les lettres galantes entre une