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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

que la puissante originalité de son style est due à la profondeur et à l’éclat de la pensée bien plus qu’à une manière individuelle, une façon d’écrire tellement indépendante qu’elle refuse de se soumettre aux règles généralement adoptées.

Les bizarreries qu’on peut noter dans les ouvrages de Corneille se retrouvent chez la plupart de ses contemporains.

L’une des plus étranges pour nous, mais des plus ordinaires alors, était l’usage de franciser la plupart des noms propres. Il n’hésite pas à dire : Mome, Pyrrhe, Brute, Crasse, au lieu de Momus, Pyrrhus, Brutus, Crassus.

Cela peut surprendre au premier aspect, mais la surprise cesse, ou du moins nous nous expliquons sans peine que Corneille parle ainsi quand nous apprenons, par les Remarques de Vaugelas et les Observations de Ménage, combien on a été divisé à ce sujet, et que nous trouvons dans ces ouvrages de grammaire ces mêmes noms que nous venons de rapporter[1]. On en

  1. C’était l’usage général de nos anciens tragiques de terminer par un e muet beaucoup de noms latins auxquels nous conservons aujourd’hui leur terminaison ; Garnier a dit :

    Reuienne encore Brute, et le hardi Sceuole
    Camille et Manle (Manlius) armez pour notre Capitole
    Reuiennent… (Garnier, Cornelie, acte I, vers 17.)

    J’ay veu, quand i’estois jeune, acharnez contre Sylle,
    Maire (Marius), Cinne, Carbon, tyranniser la ville.

    (Ibidem, acte II, vers 133.)

    Scipion est occis, et Caton, et Petree
    Et Vare, et Sube, roy de la More contrée.

    (Ibidem, acte III, vers 141.)

    Corneille a fait de même pour les terminaisons us et a, et parfois pour la terminaison ius, comme on va le voir par les exemples qui suivent.