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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

rouler la plus belle des rivières[1]. » À quelques jours de là, il s’exprime ainsi dans sa description du château de Richelieu : « La retenue des terres est couverte d’une palissade de philyréa apparemment ancienne, car elle est chauve en beaucoup d’endroits[2]. »

Cette dernière expression nous semble fort étrange ; elle ne l’était pas pour les contemporains de La Fontaine. L’Astrée de d’Urfé, qu’ils lisaient fréquemment, les avait accoutumés à des hardiesses analogues, mais beaucoup plus grandes ; on en jugera par ce passage : « Sur le penchant du vallon voisin… il s’esleve un boccage espaissi, branche sur branche, de diverses fueilles, dont les cheveux n’ayant jamais esté tondus par le fer, à cause que le bois est dédié à Diane, s’entre-ombrageoient, espandus l’un sur l’autre, de sorte que mal-aisément pouvoient-ils estre percez du soleil ny à son lever, ny à son coucher[3]. »

On a déjà remarqué souvent combien notre fabuliste est sévère sur le cérémonial ; c’est toujours sire loup[4], monseigneur le lion[5] ou même avec la particule, monseigneur du lion[6]. La hiérarchie ainsi établie, La Fontaine ne manque presque jamais de s’y conformer. Une fois le rat est appelé sire rat ; mais c’est dans la fable où il sauve le lion des rets du chasseur ; et l’on doit supposer que c’est ce qui lui vaut ses titres de noblesse. Le rang du cheval n’est pas aussi rigoureusement assigné ; il est vrai que le renard s’exprime ainsi :

J’ai l’honneur de servir nosseigneurs les chevaux[7].
mais il est bien capable de leur supposer, par flatterie,
  1. 30 août 1663. Tome II, p. 634.
  2. 12 septembre 1663. Tome II, p. 660.
  3. 1re part., liv. V, p. 209, édit. de 1612, in-4o.
  4. Liv. I, fab. v, 6, 13 ; lab. x, 10.
  5. Liv. IV, fab. xii, 35.
  6. Liv. VII, fab. vii, 26.
  7. Liv. V, fab. viii, 26.