Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

Ce réseau me retient : ma vie est en tes mains ;
Viens dissoudre ces nœuds[1].

La recherche persévérante du terme propre à laquelle se livre notre poète produit souvent une locution toute neuve, aussi vive que naturelle. Dévorer des yeux est une expression fort énergique pour désigner la convoitise d’un gourmand ; elle a dû se présenter sur-le-champ à l’esprit de La Fontaine lorsqu’il cherchait à nous peindre ses pèlerins découvrant une huître ; mais le mot dévorer ne convenait pas ici ; un autre écrivain se fût contenté d’une périphrase ; La Fontaine fond habilement le mot propre et l’expression populaire, et nous donne ce vers charmant :

Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent[2].

Dans le poème sur la Captivité de S. Malc, notre auteur, après avoir dépeint l’antre de la lionne, nous dit :

Mère nouvellement, on l’eût vue allaiter
Celui qu’elle venoit en ces lieux d’enfanter.
Mais comment l’eût-on vue ? À peine la lumière
Osoit franchir du seuil la démarche première[3].

Furetière explique ainsi ce mot :

« Démarche. Le pas qu’on commence à faire quand on veut aller en quelque lieu, ou en sortir. Il a fait une cheute dès sa première démarche. »

Dans le passage de La Fontaine, il s’agit de l’espace de terrain contenu dans le premier pas, dans la première enjambée qui touche à l’entrée de la caverne. L’Académie n’a jamais admis aucune de ces acceptions ; elle explique démarche par allure et par manière d’agir, et elle observe, dans la première édition de son Dic-

  1. Liv. VIII, fab. xxii, 24.
  2. Liv. IX, fab. ix, 3.
  3. Vers 445.