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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

Ainsi le peuple, aveuglément attaché à ses habitudes, garde encore les traditions de la prononciation gauloise ; et s’il ne parvient plus à modifier le français dans le sens où il a jadis modifié le latin, c’est seulement à cause de la résistance opiniâtre que lui opposent l’enseignement public, le langage des gens instruits et surtout les livres imprimés.

Si le fond de notre langue s’est formé de la sorte par un travail inconscient, il en est tout autrement de la partie érudite de notre vocabulaire : elle ne tire pas son origine du langage du peuple, mais des œuvres d’imagination et des livres des savants. Lorsque ceux-ci francisaient un mot latin, au lieu de lui faire subir une altération semblable à celle qu’avaient éprouvée les termes de création populaire, ils se contentaient de le transcrire en modifiant sa terminaison aussi peu qu’il était possible, et seulement dans la mesure indispensable pour lui donner, en quelque sorte, le costume de la langue dans laquelle ils l’introduisaient.


Ces deux procédés de formation, l’un populaire et tout spontané, ne s’exerçant qu’à l’origine de la langue, l’autre artificiel et érudit, relativement récent mais commençant à se manifester bien plus tôt qu’on ne serait tenté de le croire, ont eu fréquemment des résultats très bizarres.

Parfois ils se sont exercés tous deux sur un même mot latin qui a fourni deux mots français, également différents par la forme et par le sens, bien qu’ayant une même origine.

Potio, par exemple, a d’abord produit poison, forme populaire, puis potion, forme savante.

Souvent, au contraire, deux mots français intimement liés par leur sens, tels qu’un substantif et un adjectif de signification analogue, dérivés du latin, chacun par un procédé particulier, présentent dans leur forme une