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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE


Ie fis des mots nouueaux, ie restauray les vieux
Ben peu me souciant du vulgaire enuieux,
Médisant, ignorant, qui depuis a fait conte
De mes vers, qu’au premier il me tournoit à honte.


Non seulement les œuvres du poète prouvent qu’il n’a pas été à ce point intransigeant, mais ses amis en conviennent, et lui-même, comme nous l’allons voir, finit par avouer les concessions qu’il avait été obligé de faire à ce public si méprisé.

Lorsque les Amours reparaissent en 1553, augmentés d’un commentaire d’Antoine Muret, celui-ci entreprend dans la préface l’apologie de l’auteur. Il se plaint d’abord en général de l’injustice et de l’ingratitude des lecteurs, et allègue ensuite Ronsard comme exemple (I, 374), « lequel, dit-il, pour auoir premier enrichy nostre langue des Grecques et Latines despouilles, quel autre grand loyer en a-il encores rapporté ? N’auons-nous veu l’indocte arrogance de quelques acrestez mignons s’esmouuoir tellement au premier son de ses escrits, qu’il sembloit que sa gloire encores naissante, deust estre esteinte par leurs efforts ? L’vn le reprenoit de se trop loüer, l’autre d’escrire trop obscurément, l’autre d’estre trop audacieux à faire nouueaux mots : ne sçachans pas, que ceste coustume de se loüer luy est commune auecques tous les plus excellens Poëtes qui iamais furent : que l’obscurité qu’ils pretendent, n’est qu’vne confession de leur ignorance : et que sans l’inuention des nouueaux mots, les autres langues sentissent encores vne toute telle pauureté, que nous la sentons en la nostre. » L’apologie du poète se termine par cette déclaration très conforme aux doctrines de Pontus de Tyard : « Il n’y a point de doute, qu’vn chacun autheur ne mette quelques choses en ses escrits, lesquelles luy seul entend parfaitement : Comme ie puis bien dire, qu’il y auoit quelques Sonets dans ce liure, qui d’homme n’eussent iamais esté bien entendus, si l’aulheur ne les eust,