Page:Marx - L’Allemagne en 1848.djvu/283

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ser d’une masse d’idées qui se rattachent au régime des vieilles corporations. Ces travailleurs n’étaient pas encore des prolétaires au sens plein du mot, ne constituaient encore qu’un prolongement de la petite bourgeoisie en passe de devenir le prolétariat moderne, ne se trouvaient pas en opposition directe avec la bourgeoisie, c’est-à-dire avec le grand capital. Aussi est-il tout à fait à l’honneur de ces artisans d’avoir su anticiper instinctivement sur leur future évolution et constituer, avec une conscience encore imparfaite, il est vrai, le parti du prolétariat. Mais il était aussi inévitable que leurs vieux préjugés d’artisans vinssent, à chaque instant, les faire broncher ; cela ne manquait pas d’arriver dès qu’il s’agissait de critiquer dans le détail la société existante et d’étudier les faits économiques. Je ne crois pas qu’à cette époque il y ait eu, dans toute la Ligue, un seul homme ayant jamais lu un livre d’économie. Cela importait peu d’ailleurs : « l’égalité », la « fraternité », et la « justice » permettaient de franchir tout obstacle théorique.

Entre temps s’était élaborée, à côté du communisme professé par la Ligue et par Weitling, une seconde doctrine communiste essentiellement différente. Étant à Manchester, je m’étais brutalement aperçu que les faits économiques auxquels l’histoire, jusqu’alors, n’attribuait qu’un rôle nul ou inférieur, constituaient, au moins dans le monde moderne, une force historique décisive.