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chambre des Communes et autorisé à citer et à interroger des témoins. C’est un fort in‑folio où le rapport du comité ne remplit que cinq lignes, rien que cinq lignes à cet effet qu’on n’a rien à dire et qu’il faut de plus amples renseignements ! Le reste consiste en interrogatoires des témoins.

La manière d’interroger rappelle les cross examinations (interrogatoires contradictoires) des témoins devant les tribunaux anglais où l’avocat, par des questions impudentes, imprévues, équivoques, embrouillées, faites à tort et à travers, cherche à intimider, à surprendre, à confondre le témoin et à donner une entorse aux mots qu’il lui a arrachés. Dans l’espèce les avocats, ce sont messieurs du Parlement, chargés de l’enquête, et comptant parmi eux des propriétaires et des exploiteurs de mines ; les témoins, ce sont les ouvriers des houillères. La farce est trop caractéristique pour que nous ne donnions pas quelques extraits de ce rapport. Pour abréger, nous les avons rangés par catégorie. Bien entendu, la question et la réponse correspondante sont numérotées dans les livres bleus anglais.

I. Occupation des garçons à partir de dix ans dans les mines. ‑ Dans les mines, le travail, y compris l’aller et le retour, dure ordinairement de quatorze à quinze heures, quelquefois même de 3, 4, 5 heures du matin jusqu’à 4 et 5 heures du soir (nos 6, 452, 83). Les adultes travaillent en deux tournées, chacune de huit heures, mais il n’y a pas d’alternance pour les enfants, affaire d’économie (nos 80, 203, 204). Les plus jeunes sont principalement occupés à ouvrir et fermer les portes dans les divers compartiments de la mine ; les plus âgés sont chargés d’une besogne plus rude, du transport du charbon, etc. (nos 122, 739, 1747). Les longues heures de travail sous terre durent jusqu’à la dix-huitième ou vingt‑deuxième année ; alors commence le travail des mines proprement dit (no 161). Les enfants et les adolescents sont aujourd’hui plus rudement traités et plus exploités qu’à aucune autre période antérieure (nos 1663‑67). Les ouvriers des mines sont presque tous d’accord pour demander du Parlement une loi qui interdise leur genre de travail jusqu’à l’âge de quatorze ans. Et voici Vivian Hussey (un exploiteur de mines) qui interroge : « Ce désir n’est‑il pas subordonné à la plus ou moins grande pauvreté des parents ? Ne serait‑ce pas une cruauté, là où le père est mort, estropié, etc., d’enlever cette ressource à la famille ? Il doit pourtant y avoir une règle générale. Voulez‑vous interdire le travail des enfants sous terre jusqu’à quatorze ans dans tous les cas ? » Réponse : « Dans tous les cas » (nos 107‑110). Hussey : « Si le travail avant quatorze ans était interdit dans les mines, les parents n’enverraient-ils pas leurs enfants dans les fabriques ? — Dans la règle, non » (no 174). Un ouvrier : « L’ouverture et la fermeture des portes semble chose facile. C’est en réalité une besogne des plus fatigantes. Sans parler du courant d’air continuel, les garçons sont réellement comme des prisonniers qui seraient condamnés à une prison cellulaire sans jour. » Bourgeois Hussey : « Le garçon ne peut‑il pas lire en gardant la porte, s’il a une lumière ? » — « D’abord il lui faudrait acheter des bougies et on ne le lui permettrait pas. Il est là pour veiller à sa besogne, il a un devoir à remplir ; je n’en ai jamais vu lire un seul dans la mine » (nos 141‑160).

II. Éducation. — Les ouvriers des mines désirent des lois pour l’instruction obligatoire des enfants, comme dans les fabriques. Ils déclarent que les clauses de la loi de 1860, qui exigent un certificat d’instruction pour l’emploi de garçons de dix à douze ans, sont parfaitement illusoires. Mais voilà où l’interrogatoire des juges d’instruction capitalistes devient réellement drôle. « Contre qui la loi est‑elle le plus nécessaire ? contre les entrepreneurs ou contre les parents ? — Contre les deux » (no 116). « Plus contre ceux‑ci que contre ceux‑là ? — Comment répondre à cela ? » (no 137). « Les entrepreneurs montrent‑ils le désir d’organiser les heures de travail de manière à favoriser la fréquentation de l’école ? — Jamais » (no 211). « Les ouvriers des mines améliorent‑ils après coup leur instruction ? — Ils se dégradent généralement et prennent de mauvaises habitudes ; ils s’adonnent au jeu et à la boisson et se perdent complètement » (no 109). « Pourquoi ne pas envoyer les enfants aux écoles du soir ? — Dans la plupart des districts houillers il n’en existe aucune ; mais le principal, c’est qu’ils sont tellement épuisés du long excès de travail, que leurs yeux se ferment de lassitude… Donc, conclut le bourgeois, vous êtes contre l’éducation ? — Pas le moins du monde, etc. » (no 443). « Les exploiteurs des mines, etc., ne sont‑ils pas forcés par la loi de 1860 de demander des certificats d’école, pour les enfants entre dix et douze ans ? La loi l’ordonne, c’est vrai ; mais ils ne le font pas » (no 444). « D’après vous, cette clause de la loi n’est donc pas généralement exécutée ? — Elle ne l’est pas du tout » (no 717). « Les ouvriers des mines s’intéressent‑ils beaucoup à cette question de l’éducation ? — La plus grande partie » (no 718). « Désirent‑ils ardemment l’application forcée de la loi ? — Presque tous » (no 720). « Pourquoi donc n’emportent‑ils pas de haute lutte cette application ? — Plus d’un ouvrier désirerait refuser un garçon sans certificat d’école ; mais alors c’est un homme signalé (a marked man) » (no 721). « Signalé par qui ? — par son patron » (no 722). « Vous croyez donc que les patrons persécuteraient quelqu’un parce qu’il aurait obéi à la loi ? — Je crois qu’ils le feraient » (no 723). « Pourquoi les ouvriers ne se refusent‑ils pas à employer les garçons qui sont dans ce cas ? — Cela n’est pas laissé à leur choix » (no 1634). « Vous désirez l’intervention du Parlement ? — On ne fera jamais quelque chose d’efficace pour l’éducation des enfants des mineurs, qu’en vertu d’un acte du Parlement et par voie coercitive » (no 1636). « Ceci se rapporte‑t‑il aux enfants de tous les travailleurs de la Grande‑Bretagne ou seulement à ceux des ouvriers des mines ? — Je suis ici seulement pour parier au nom de ces derniers » (no 1638). « Pourquoi distinguer les enfants des mineurs des autres ? — Parce qu’ils forment une exception à la règle » (no 1639). « Sous quel rapport ? — Sous le rapport physique » (no 1640). « Pourquoi l’instruction aurait-elle plus de valeur pour eux que pour les enfants d’autres classes ? —