Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/263

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squires fixèrent, en 1795, le taux des salaires pour le Speenhamland, ils avaient fort bien dîné et pensaient évidemment que les travailleurs n’avaient pas besoin de faire de même… Ils décidèrent donc que le salaire hebdomadaire serait de trois shillings par homme, tant que la miche de pain de huit livres onze onces coûterait un shilling, et qu’il s’élèverait régulièrement jusqu’à ce que le pain coûtât un shilling cinq pence. Ce prix une fois dépassé, le salaire devait diminuer progressivement jusqu’à ce que le pain coûtât deux shillings, et alors la nourriture de chaque homme serait d’un cinquième moindre qu’auparavant[1]. »

En 1814, un comité d’enquête de la Chambre des lords posa la question suivante à un certain A. Bennet grand fermier, magistrat, administrateur d’un workhouse (maison de pauvres) et régulateur officiel des salaires agricoles : « Est-ce qu’on observe une proportion quelconque entre la valeur du travail journalier et l’assistance paroissiale ? — Mais oui, répondit l’illustre Bennet ; la recette hebdomadaire de chaque famille est complétée au-delà de son salaire nominal jusqu’à concurrence d’une miche de pain de huit livres onze onces et de trois pence par tête… Nous supposons qu’une telle miche suffit pour l’entretien hebdomadaire de chaque membre de la famille, et les trois pence sont pour les vêtements. S’il plaît à la paroisse de les fournir en nature, elle déduit les trois pence. Cette pratique règne non seulement dans tout l’ouest du Wiltshire, mais encore, je pense, dans tout le pays[2]. »

C’est ainsi, s’écrie un écrivain bourgeois de cette époque, « que pendant nombre d’années les fermiers ont dégradé une classe respectable de leurs compatriotes, en les forçant à chercher un refuge dans le workhouse… Le fermier a augmenté ses propres bénéfices en empêchant ses ouvriers d’accumuler le fonds de consommation le plus indispensable[3] ». L’exemple du travail dit à domicile nous a déjà montré quel rôle ce vol, commis sur la consommation nécessaire du travailleur, joue aujourd’hui dans la formation de la plus-value et, par conséquent, dans l’accumulation du capital. On trouvera de plus amples détails à ce sujet dans le chapitre suivant.

Bien que, dans toutes les branches d’industrie, la partie du capital constant qui consiste en outillage[4] doive suffire pour un certain nombre d’ouvriers, — nombre déterminé par l’échelle de l’entreprise, — elle ne s’accroît pas toutefois suivant la même proportion que la quantité du travail mis en œuvre. Qu’un établissement emploie, par exemple, cent hommes travaillant huit heures par jour, et ils fourniront quotidiennement huit cents heures de travail. Pour augmenter cette somme de moitié, le capitaliste aura ou à embaucher un nouveau contingent de cinquante ouvriers ou à faire travailler ses anciens ouvriers douze heures par jour au lieu de huit. Dans le premier cas, il lui faut un surplus d’avances non seulement en salaires, mais aussi en outillage, tandis que, dans l’autre, l’ancien outillage reste suffisant. Il va désormais fonctionner davantage, son service sera activé, il s’en usera plus vite, et son terme de renouvellement arrivera plus tôt, mais voilà tout. De cette manière un excédent de travail, obtenu par une tension supérieure de la force ouvrière, augmente la plus-value et le produit net, la substance de l’accumulation, sans nécessiter un accroissement préalable et proportionnel de la partie constante du capital avancé.

Dans l’industrie extractive, celle des mines, par exemple, les matières premières n’entrent pas comme élément des avances, puisque là l’objet du travail est non le fruit d’un travail antérieur, mais bien le don gratuit de la nature, tel que le métal, le minéral, le charbon, la pierre, etc. Le capital constant se borne donc presque exclusivement à l’avance en outillage, qu’une augmentation de travail n’affecte pas. Mais, les autres circonstances restant les mêmes, la valeur et la masse du produit multiplieront en raison directe du travail appliqué aux mines. De même qu’au premier jour de la vie industrielle, l’homme et la nature y agissent de concert comme sources primitives de la richesse. Voilà donc, grâce à l’élasticité de la force ouvrière, le terrain de l’accumulation élargi sans agrandissement préalable du capital avancé.

Dans l’agriculture on ne peut étendre le champ de cultivation sans avancer un surplus de semailles et d’engrais. Mais, cette avance une fois faite, la seule action mécanique du travail sur le sol en augmente merveilleusement la fertilité. Un excédent de travail, tiré du même nombre d’ouvriers, ajoute à cet effet sans ajouter à l’avance en instruments aratoires. C’est donc de nouveau l’action directe de l’homme sur la nature qui fournit ainsi un fonds additionnel à accumuler sans intervention d’un capital additionnel.

Enfin, dans les manufactures, les fabriques, les usines, toute dépense additionnelle en travail présuppose une dépense proportionnelle en matières premières, mais non en outillage. De plus, puisque l’industrie extractive et l’agriculture fournissent à l’industrie manufacturière ses matières brutes et instrumentales, le surcroît de produits obtenu dans celles-là sans surplus d’avances revient aussi à l’avantage de celle-ci.

Nous arrivons donc à ce résultat général, qu’en s’incorporant la force ouvrière et la terre, ces deux sources primitives de la richesse, le capital acquiert une puissance d’expansion qui lui permet d’augmenter ses éléments d’accumulation au-delà des limites apparemment fixées par sa propre grandeur, c’est-à-dire par la valeur et la masse des moyens de production déjà produits dans lesquels il existe.

Un autre facteur important de l’accumulation, c’est le degré de productivité du travail social.

  1. B. G. Newnham (bannister at law) : A Review of the Evidence before the committees of the two Houses of Parliament on the Cornlaws. Lond., 1815, p. 20, note.
  2. L. c.
  3. Ch. H. Parry, l. c., p. 78. De leur côté, les propriétaires fonciers ne s’indemnisèrent pas seulement pour la guerre antijacobine qu’ils faisaient au nom de l’Angleterre. En dix-huit ans, « leurs rentes montèrent au double, triple, quadruple, et, dans certains cas exceptionnels, au sextuple ». (L. c., p. 100, 101.)
  4. Nous entendons par « outillage » l’ensemble des moyens de travail, machines, appareils, instruments, bâtiments, constructions, voies de transport et de communication, etc.