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Page:Marx - Le Capital, Lachâtre, 1872.djvu/324

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CHAPITRE XXVIII

LÉGISLATION SANGUINAIRE CONTRE LES EXPROPRIÉS À PARTIR DE LA FIN DU QUINZIÈME SIÈCLE — LOIS SUR LES SALAIRES

La création du prolétariat sans feu ni lieu — licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d’expropriations violentes et répétées — allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes. D’autre part, ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds. De là, vers la fin du quinzième siècle et pendant tout le seizième, dans l’ouest de l’Europe, une législation sanguinaire contre le vagabondage. Les pères de la classe ouvrière actuelle furent châtiés d’avoir été réduits à l’état de vagabonds et de pauvres. La législation les traita en criminels volontaires ; elle supposa qu’il dépendait de leur libre arbitre de continuer à travailler comme par le passé et comme s’il n’était survenu aucun changement dans leur condition.

En Angleterre, cette législation commence sous le règne de Henri VII.

Henri VIII, 1530 : Les mendiants âgés et incapables de travail obtiennent des licences pour demander la charité. Les vagabonds robustes sont condamnés au fouet et à l’emprisonnement. Attachés derrière une charrette, ils doivent subir la fustigation jusqu’à ce que le sang ruisselle de leur corps ; puis ils ont à s’engager par serment à retourner soit au lieu de leur naissance, soit à l’endroit qu’ils ont habité dans les trois dernières années, et à « se remettre au travail » (to put themselves to labour). Cruelle ironie ! Ce même statut fut encore trouvé trop doux dans la vingt-septième année du règne d’Henri VIII. Le Parlement aggrava les peines par des clauses additionnelles. En cas de première récidive, le vagabond doit être fouetté de nouveau et avoir la moitié de l’oreille coupée ; à la deuxième récidive, il devra être traité en félon et exécuté comme ennemi de l’État.

Dans son Utopie, le chancelier Thomas More dépeint vivement la situation des malheureux qu’atteignaient ces lois atroces. « Ainsi il arrive », dit-il, « qu’un glouton avide et insatiable, un vrai fléau pour son pays natal, peut s’emparer de milliers d’arpents de terre en les entourant de pieux ou de haies, ou en tourmentant leurs propriétaires par des injustices qui les contraignent à tout vendre. » De façon ou d’autre, de gré ou de force, « il faut qu’ils déguerpissent tous, pauvres gens, cœurs simples, hommes, femmes, époux, orphelins, veuves, mères avec leurs nourrissons et tout leur avoir ; peu de ressources, mais beaucoup de têtes, car l’agriculture a besoin de beaucoup de bras. Il faut, dis-je, qu’ils traînent leurs pas loin de leurs anciens foyers, sans trouver un lieu de repos. Dans d’autres circonstances, la vente de leur mobilier et de leurs ustensiles domestiques eût pu les aider, si peu qu’ils vaillent ; mais, jetés subitement dans le vide, ils sont forcés de les donner pour une bagatelle. Et, quand ils ont erré çà et là et mangé jusqu’au dernier liard, que peuvent-ils faire autre chose que de voler, et alors, mon Dieu ! d’être pendus avec toutes les formes légales, ou d’aller mendier ? Et alors encore on les jette en prison comme des vagabonds, parce qu’ils mènent une vie errante et ne travaillent pas, eux auxquels personne au monde ne veut donner du travail, si empressés qu’ils soient à s’offrir pour tout genre de besogne. » De ces malheureux fugitifs dont Thomas More, leur contemporain, dit qu’on les força à vagabonder et à voler,