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Page:Mary - Roger-la-Honte, 1887.djvu/11

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Le dîner était prêt. La lampe suspendue venait d’être allumée dans une ravissante salle à manger communiquant avec une serre et tout encombrée de fleurs. Les verres étincelaient sur la nappe blanche et la lumière piquetait de taches éblouissantes l’argenterie fine des couverts.

Au salon, dont les fenêtres ouvraient sur une large terrasse, non plus qu’à la salle à manger, personne.

Et l’on eût dit, sans les lumières, que cette maison était inhabitée, tant elle semblait calme et comme endormie au milieu de ses fleurs dans la nuit envahissante.

Pourtant, à gauche du salon, deux voix chuchotent. De ce côté, se trouve la chambre de Mme Laroque, encore plongée dans la demi-obscurité du crépuscule.

Ni bougie allumée, ni lampe, ni veilleuse.

Deux voix, l’une superbe, grave et douce, de celles qui font aimer une femme sans la connaître, l’autre, enfantine, pareille au son du cristal que choque le cristal, appelant le rire, les jeux et l’insouciance.

C’est la mère et la fille, Henriette Laroque et Suzanne.

Mme Laroque a traîné une chaise longue auprès de la fenêtre entr’ouverte. Elle s’y est assise.

Elle a attiré Suzanne auprès d’elle.

Le soleil, à son déclin, envoie des flèches d’or rouge dans les vitres et, pendant quelques secondes, illumine comme des reflets d’un incendie voisin, un lit aux rideaux légers, des fauteuils profonds, recouverts de tapis orientaux, et mille bibelots de femme.

Les flèches d’or du soleil illuminent aussi le couple gracieux de la mère, ayant dans ses mains les mains de l’enfant, parlant bas et souriant.

Elles sont blondes toutes deux.

L’une a vingt-cinq ans. Elle est en pleine floraison de sa beauté.

L’autre a sept ans et n’est pas encore au printemps de sa vie.

Elles se ressemblent.

Même grands yeux bleus, même front brusquement terminé par une forêt de cheveux ; même visage pâle, fin, allongé, délicat ; mêmes lèvres ourlées, un peu accentuées et très rouges.

Et chez l’enfant déjà coquette, et dont le regard rayonne d’une intelligence supérieure à son âge, des gestes gracieux de jeune fille, copiés sur les gestes de la mère.

Bien que huit heures aient sonné et que depuis plus d’une heure son mari devrait être là, Mme Laroque n’est pas trop inquiète. De quoi s’inquiéterait-elle ?

Ne sait-elle pas que Roger l’adore autant qu’elle l’aime ?