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à vau-le-nordet

plus forte que l’imagination. De même que nous nous sommes emparés de plus de territoire que nous en pouvons coloniser, ainsi nous n’avons pu suffire à la tâche de remplacer par des noms français les mots sauvages.

Nous avons vaincu le Peau-Rouge avec l’arquebuse et l’eau-de-vie, nous l’avons assassiné de civilisation, mais il se venge à sa façon et son verbe survit et nous nargue sans cesse. Nous l’avons chassé de Stadacona et d’Hochelaga ; nous ne pouvons le déloger du vocabulaire. Nous avons parqué dans des ghettos ou des réserves les derniers rejetons de ces farouches guerriers. Ils se sont retranchés dans le dictionnaire géographique d’où ils nous décochent les flèches du ridicule. Ces ingénieux tortionnaires ont simplement changé leur manière ; au lieu d’arracher la langue à leurs victimes, ils se contentent de leur y appliquer des torsions effroyables qui supplicient à la fois les cordes vocales et le tube auditif[1].

Et les discours de Saint-Jean-Baptiste n’en continuent pas moins à proclamer que « c’est le génie immortel de la France qui s’affirme dans le Kébec et c’est son verbe à la fois doux et éclatant que répètent les échos les plus lointains, etc. »

  1. Il faut rendre aux sauvages cette justice que s’ils nous ont, dans le temps, massacré bien du monde, en missionnaires, miliciens ou colons, ils nous ont, depuis, fait restitution en apportant à nos foyers d’innombrables moutards !