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après le rêve, le réveil
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l’autre. De tout temps, Albion fut dure à la détente ; sans doute sait-elle le prix de ce qu’elle donne et n’entend-elle donner qu’à bon escient. Quoi qu’il en soit, Downing Street, en 1792, n’était pas encore disposé à faire confiance à ses nouveaux sujets en leur abandonnant les rênes de l’administration. On en était encore au stage expérimental du self-government ; aussi, importait-il d’y acheminer prudemment cette race impulsive de Français impatients du joug, de leur doser graduellement la liberté afin qu’ils pussent se l’assimiler sans danger de complications. En diététique comme en politique, on ne doit pas brusquer les changements de régime, crainte d’entraîner des perturbations funestes dans l’organisme.

Comme la colère, le fanatisme est mauvais conseiller : il desservait nos ennemis en réalisant contre eux notre union sacrée. Car c’est un ghetto vraiment providentiel que celui où les préjugés nous tinrent, à cette époque décisive de notre existence, parqués à l’écart de l’ambiance assimilatrice. Cet ostracisme prévint notre anglicisation en nous forçant, pour ainsi dire, à serrer nos rangs, à présenter aux assaillants un front uni, une masse compacte difficile à entamer. Une diplomatie plus clairvoyante, c’est-à-dire moins aveuglée par la haine, eut eu recours aux blandices du pouvoir pour effriter notre bloc solide. Ces rigueurs se relâchèrent pourtant quelquefois — quand la république voisine, aux prises avec la métropole, envahissait notre territoire. Oh ! alors, on montrait patte de velours, on cherchait à propitier notre clergé, à amadouer le parti canadien en accordant certains privilèges, certaines réformes. Mais une fois passées ces alertes, une fois que l’autocratie sentit ses forces croître et ses griffes pousser, on fut moins circonspect, on jeta bas le masque, on dépouilla toute contrainte. De son côté, le peuple s’était vite acclimaté à l’atmosphère du parlement, il s’était rompu au maniement de la parole et l’on se rendit bientôt compte qu’il prenait son rôle au sérieux.