Aller au contenu

Page:Massé - Mena’sen, 1922.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 102 —


XV


Les deux évadés ont l’âme trop tenaillée par l’émotion, les rôles qu’ils ont à remplir, l’un de pilote et l’autre de vigie, réclament trop impérieusement leur vigilante attention pour se laisser distraire par le superbe panorama qui se déroule devant eux.

Un soleil ardent achève de dissiper la brume matutinale. Le bleu du firmament se confondrait avec la réflexion qu’en fait l’onde calme et limpide n’était la large bande d’un vert éclatant qui, s’interposant entre eux, délimite les deux éléments. Les pluviers indécis balancent entre l’azur éthéré et l’azur liquide et, alternativement, s’essorent dans l’un ou plongent dans l’autre.

Ici, une forêt d’épinettes dentelle l’horizon de mille clochetons gothiques avec, par ci par là, à peine estompées, les coupoles de lointains monticules. Là, l’arrière-plan est fait de rochers superposés en gradins d’amphithéâtre tapissés seulement d’un lichen maigrelet.

Dans les brûlés se dressent, désolés, les troncs d’arbres noircis. On dirait des milliers d’obélisques dans quelque cité fabuleuse ravagée par l’incendie… ou bien l’on trouve à ces tiges calcinées dont le sol est hérissé l’air lugubre de pals acérés dans quelque étrange lieu de supplice maudit et stérile.

Parfois, des éclaircies font diversion à la monotonie de la forêt : on dirait un défrichement. On les distingue de loin au vert tendre de l’herbe qui y croît. Ce sont d’anciennes colonies de castors, précurseurs des colons pour qui ces prairies seront de bonne aubaine.