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Il y a de la contrainte dans le ton, de l’affectation dans les manières. Pourtant, la race est d’esprit trop combatif, d’allures trop ouvertes pour que tant de dissimulation dure bien longtemps. Aussi, soyez sûr, qu’il y aura tantôt du grabuge. Gare le vin qui dissipe la gêne et délie la langue !

En effet, insensiblement, la partie s’engage d’abord par des escarmouches d’épigrammes, de rabutinades, de pointes plus ou moins acérées, certaines feintes qu’on ne pousse pas encore à fond mais qui déjà font intervenir les réserves. De part et d’autre, on tâte le terrain, on suppute la force des adversaires. Puis viennent, tour à tour, les attaques en flanc, les charges animées, les assauts redoutables. Peu à peu aussi, le plan stratégique de Monseigneur le Marquis se précise : il a démasqué ses batteries et, impassible, il regarde évoluer les combattants, n’intervenant que pour activer les hostilités ou bien dégager des bataillons trop avancés.

Nous sommes enfin fixés sur un point : c’est que cette soirée au château Saint-Louis, ce 3 janvier 1704, est tout bonnement un conseil de guerre que tient Monseigneur le Marquis de Vaudreuil.

Prêtez l’oreille quelques instants et vous serez édifiés.

C’est le Père Denys qui parle en ce moment, un pacifique dont la robe de bure, le chef tonsuré en couronne et le verbe modéré détonnent dans ce milieu brillant et bruyant de beaux messieurs poudrés à blanc, en jabots de pouce-de-roi et manchettes pimpelorées. Il exerce, par l’austérité de sa vie et par sa charité, un grand ascendant sur les Canadiens et c’est pour cette raison que Monseigneur le Marquis l’invite à ses conciliabules, bien qu’il redoute sa rectitude de jugement et sa franchise. Ce moinillon que les ambitieux exècrent, que les humbles vénèrent et que tous estiment est