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roi en paroi, se déchirent d’aspérité en aspérité, soulevant comme une trombe d’embrun qu’irise le dieu Saturne. Puis, fatigué par ces excès, aveuglé par ces débauches de coloris, le fleuve assagi s’achemine lentement et va, docile et dompté, confondre ses flots d’encre aux eaux laiteuses du Richelieu ainsi qu’à l’onde safranée du Yamaska dans l’aigue émeraude du lac Saint-Pierre.

Quand l’automne gris déverse sur la nature ses nuages gorgés de pluie comme des outres gonflées, l’Alsiganteka gémit sous le fardeau et se hâte à travers la vallée sinueuse et désolée. La forêt s’attriste et, touchante abnégation, se dévêt pour couvrir le fleuve d’un suaire de feuilles décidues. Les grands arbres éplorés se découvrent devant le cortège. Les feuilles nictitantes des trembles semblent des paupières qui papillotent et, de chaque côté, se dressent, comme des cierges, les tiges minces et blanches des jeunes bouleaux.

Puis le décor change : Automne expirant veut une apothéose. La nature éprouve comme un revif et redevient coquette. Sur le flanc de la colline qui baigne ses pieds dans le courant flottent les plis d’une tunique vert sapin. Et c’est un tableau d’une incomparable beauté qu’on a sous les yeux. Les verts crus de l’été deviennent moins violents, plus discrets, à mesure que la végétation s’anémie. La forêt perd de son teint éclatant et ce sont maintenant des verts où le jaune prédomine. Puis vient la gamme des notes orines : or vert, or jaune, or blanc. La gradation passe ensuite du jaune au rouge avec l’ocre pour transition et varie du laiton au cuivre avec, par intervalles, des traces de vert de gris. Ici et là, détonent, sur ce fond mat, effacé, les taches de sang ou la