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MES SOUVENIRS

mieux cette tuile. Je la prévoyais, d’ailleurs. Quelque argent, toutefois, que j’eusse pu mettre de côté, cela ne pouvait suffire, et, sur le conseil qu’on me donna (les conseilleurs sont-ils jamais des payeurs ?), j’allai rue des Blancs-Manteaux porter, au Mont-de-Piété, ma montre… en or. Elle garnissait mon gousset depuis le matin de ma première communion. Elle devait, hélas ! bien peu peser, car l’on ne m’en offrit que… 16 francs !!! Cet appoint, cependant, me vint en aide et je pus donner à notre restaurateur ce qu’il réclamait.

Quant au piano, la dépense était si exorbitante : 20 francs ! que je m’en dispensai. Je m’en passai d’autant plus facilement que je ne me suis jamais servi de ce secours pour composer.

Pouvais-je me douter que mes voisins de loge, tapant sur leur piano et chantant à tue-tête m’auraient à ce point incommodé ! Impossible de m’étourdir ni de me dérober à leurs sonorités bruyantes puisque je n’avais pas de piano et que, par surcroît, les couloirs des greniers où nous logions étaient d’une acoustique rare.

Il m’est souvent arrivé, lorsque, le samedi, je me rends aux séances de l’Académie des Beaux-Arts, de jeter un coup d’œil douloureux sur la fenêtre grillée de ma loge, qu’on aperçoit de la cour Mazarine, à droite, dans un renfoncement. Oui, mon regard est douloureux, car j’ai laissé derrière ces vieilles grilles les plus chers et les plus émouvants souvenirs de ma jeunesse, et elles me font réfléchir aux douloureux instants de ma vie déjà si longue…

En 1863, donc, reçu le premier au concours d’essai,