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Page:Masson - Alfred de Vigny, 1908.djvu/73

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ALFRED DE VIGNY

jusque dans le Royaume de l’Esprit, cette matière tenace dont elle essayait de s’affranchir. Le poète qui veut dire sa poésie doit connaître le labeur de l’ouvrier, devenir un artisan de la parole[1], faire la chasse aux syllabes et aux sons qui se refusent à lui, et asservir l’Idée avant d’en faire une libératrice. On peut dire de Vigny sans paradoxe que ses plus rares visions ne se sont jamais précisées en des poèmes écrits, et qu’elles sont restées closes dans la citadelle du rêve, parce que nulle forme n’était assez docile, assez immatérielle pour les faire naître à la vie extérieure : « Je ne veux pas les écrire, avouait-il lui-même, ni les dire non plus… Je les garde en moi-même, je les regarde dans le miroir de mon imagination, je les y contemple, je leur souris, et puis je ferme les yeux et je me tais[2]. »

Sa fierté de gentilhomme lettré l’invitait
alfred de vigny5

  1. Discours de réception à l’Académie française, Journal, p. 283.
  2. Lettre à une jeune fille Mlle A. Delvigne) du 27 juin 1858, Correspondance, p. 306-7 ; cf. encore ce fragment inédit, cité par Dorison, Alfred de Vigny et la poésie politique, op. cit., p. 178 : « Poésie est beauté suprême des choses et contemplation idéale de cette beauté. »