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MA COUSINE MANDINE

— Heu !… Tu ajoutes foi à ce que cette lettre dit, toi ?… dit-elle, avec une moue de mépris.

— Non seulement j’y ajoute foi, mais, à l’heure qu’il est, ton mari est probablement mort… et tu es seule !…

— Seule ?… libre ?… Allons donc !… tu t’emballes, mon ami ! Mon pauvre mari n’est pas de ceux qui prennent des décisions aussi énergiques que celle-là ! Je te parie que demain tu le reverras debout, sinon guéri, et prêt à continuer sa vie d’abruti !

Sans répondre, je lui remis l’autre lettre cachetée à son adresse.

— Ah !… J’ai aussi un billet doux ? fit-elle en riant et en décachetant la lettre.

Elle la lut lentement et rien sur son visage, rose et blanc, ne trahit la moindre émotion. Elle sourit même en me la tendant tout ouverte.

Voici ce que je lus :

« Ma chère Mandine,

Je te quitte cette fois pour toujours. Je n’ai qu’un regret en partant, c’est de penser que ce départ va te causer des ennuis. Ton cousin, Paul, cependant, va probablement s’occuper des détails désagréables résultant de mon départ, ainsi que je le lui ai demandé de faire, et tes ennuis seront ainsi amoindris.

Tu vas être libre, et tu pourras te faire une vie nouvelle. Crois-moi bien sincère quand je souhaite cette nouvelle vie plus heureuse et plus à ton goût que celle que j’ai pu t’offrir.

Je n’étais pas fait pour toi et il y a longtemps que j’aurais dû disparaître. Pardonne-moi si j’ai tardé.

Quand tu seras bien heureuse, tu donneras une preuve de ton bonheur en pensant à moi dans tes prières du soir. Adieu et pardon.

Jules. »

Ma cousine me regardait lire avec les yeux pleins de malice et de curiosité.

— C’est dans le même goût que la tienne, n’est-ce pas ? dit-elle.

Je ne répondis pas à cette boutade incompréhensible pour moi. J’avais la gorge serrée comme dans un étau. Je sentais les larmes monter à mes yeux, et j’avais envie de crier la douleur sincère que la lecture de cette simple lettre d’adieux me mettait au cœur. Car je savais cette lettre sincère. Le malheureux n’y demandait qu’une chose, le pardon ; elle n’exprimait qu’un regret, celui de n’avoir pu faire le bonheur de celle qu’il avait aimée et qu’il aimait jusqu’à la fin.

Et celle-là ?…

Évidemment, Mandine ne croyait rien de ce que les deux lettres disaient. Elle était positive, comme elle me le dit longtemps après, que Jules avait écrit sous l’influence de l’alcool ou des drogues. De là sa froideur et son manque de cœur apparent.

Devant une telle certitude, une croyance si solide, je vis qu’il m’était inutile de discuter et d’opposer mes propres convictions. Je me raidis dans un effort de volonté. J’essuyai mes yeux, obscurcis par des larmes que j’aurais voulu cacher, et péniblement, mais tranquillement je repris ma lettre.

— Nous ne discuterons pas plus longtemps ce soir, ma chère cousine, lui dis-je en me levant. Dieu veuille que tu aies raison de croire que ces deux lettres ne disent rien de vrai, et que l’état de ton mari — s’il vit encore — n’offre rien d’inquiétant. Je vais te laisser maintenant, car tu es fatiguée et tu as besoin de repos. Moi aussi, d’ailleurs, je suis bien fatigué. Il est trop tard maintenant pour aller à l’hôpital demander des nouvelles. J’irai demain matin, à bonne heure, et je reviendrai te dire comment est Jules, si tu le permets…

— Comment, si je le permets !… Tu sais bien, grand fou, que tu es toujours le bienvenu ici !

— D’ailleurs, continua-t-elle en m’accompagnant vers la sortie, si tes prévisions de malheur se réalisent, je vais être seule… et tu te rappelles ce que tu m’as dit un jour ?…

Et une fois encore elle s’appuya sur mon bras en levant vers moi ses yeux inquiets et presque suppliants, ses yeux d’enfant… si bleus !…

Une fois encore, elle me tendit ses lèvres de corail, sur lesquelles j’avais déjà déposé plus d’un chaste baiser, et sur lesquelles, de nouveau, malgré la tristesse qui me remplissait le cœur, malgré la rancune que sa légèreté et son manque de cœur m’inspiraient en cette grave occasion, je posai les miennes avec un plaisir, une joie, que je me reprochais mais que je ne pouvais nier ou combattre.

• • •

Le lendemain, quand j’arrivai à l’hôpital, Jules était mort. Il ne s’était pas réveillé malgré tous les moyens employés par les médecins. Le pauvre garçon avait tenu parole : il s’était effacé.


XX


Maintenant se posait la question première de l’enterrement de mon ami, et des dispositions à prendre à cet effet. La phrase de la lettre où Jules demandait de le faire enterrer en terre sainte si possible, me revenait à la mémoire, et de là découlait un problème assez difficile à résoudre. Il s’était suicidé. La chose était connue des autorités de l’hôpital, et je ne pouvais cacher ce fait aux autorités religieuses. Or, la loi de l’Église interdisant l’inhumation d’un suicidé en terre consacrée, je me trouvais dans la nécessité de faire enterrer mon ami dans un cimetière protestant ou dans un terrain vague, comme un chien ou un hérétique. C’est vrai que mon ami s’était confessé, et avait probablement communié, avant, de commettre sa lamentable action. Mais cela n’empêcherait pas les autorités religieuses de lui refuser l’inhumation dans le cimetière catholique.

Dans mon embarras sur les procédés à suivre en l’occasion, je causai de la chose avec Mandine. Celle-ci, redevenue relativement calme après le choc nerveux causé par la mort de son mari — mort qu’elle avait si singulièrement cru impossible la veille, me fut d’un grand secours et me tira du cruel embarras où je me trouvais. Elle me suggéra l’idée assez simple, mais logique, de faire enterrer