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MA COUSINE MANDINE

fauteuils profonds et moelleux offraient un confort très goûté des membres assidus.

Mes amis et moi occupions une de ces tables à une des extrémités de la salle.



Ce soir-là il y avait foule nombreuse au club. La session des Chambres fédérales battait son plein. Le monde politique était alors en ébullition à la veille d’un changement possible de parti au pouvoir. Les politiciens des deux langues étaient donc en nombre ce soir-là.

Mes amis et moi causions tranquillement ensemble. Après m’avoir félicité pour mon succès à Toronto, mes amis me demandèrent naturellement ce que je comptais faire maintenant que j’étais membre du barreau d’Ontario.

J’étais à leur développer mes plans et projets d’avenir, lorsque, tout-à-coup, mon fauteuil fut violemment bousculé par trois individus qui passaient derrière moi pour atteindre une table voisine de la nôtre. J’entendis un « beg pardon », murmuré d’un ton moqueur et, m’étant levé, je reconnus le Lomer-Jackson en compagnie de deux amis qui, comme lui, avaient l’air joliment éméchés.

Ma première impulsion fut de protester contre leur rude manière d’agir, mais un de mes amis me toucha le bras et me demanda de laisser faire et de ne rien dire. Ces gens étaient plus ou moins ivres, évidemment, et ils ne valaient pas la peine de s’en occuper.

Jackson et ses amis s’assirent à quelques pas de nous et ayant commandé, à haute voix, une consommation, eurent l’air de ne plus s’occuper que de boire et de causer entre eux.

Je me rassis, sur les instances de mes amis, mais je n’étais ni tranquille ni satisfait. Le manque de courtoisie, ou plutôt de savoir-vivre, de ces trois individus me tenait au cœur. Lomer-Jackson, particulièrement, m’agaçait. C’était lui, je croyais, qui avait heurté mon fauteuil, et je crus voir un sourire narquois et provocateur errer sur ses lèvres pendant que je reprenais mon siège. Je n’étais pas certain, mais il me semblait que Jackson avait fait exprès pour me déranger en passant.

Tout en continuant d’élaborer ma future ligne de conduite à mes amis, je ne pouvais m’empêcher de tendre l’oreille du côté des trois nouveaux arrivés. Bientôt je saisis quelques bribes de leur conversation qui confirmèrent mes soupçons sur l’intention bien arrêtée de Jackson de me provoquer, ou du moins de me taquiner, m’ennuyer. Je cessai de parler alors et je prêtai plus attentivement l’oreille vers la table voisine.

Mes amis s’aperçurent de ma distraction et redoublèrent d’efforts pour attirer et retenir mon attention sur notre sujet de conversation.

J’étais assis en face d’une grande glace qui reflétait la moitié de la salle et particulièrement cette partie où Jackson et ses amis étaient assis. En passant derrière moi et en jetant un coup d’œil dans cette glace, Jackson m’avait évidemment reconnu et savait parfaitement qui il bousculait en heurtant mon fauteuil.

Je saisis bientôt plusieurs mots qui sonnèrent très mal à mon oreille, entre autres, les