Page:Maupassant - À propos du peuple, paru dans Le Gaulois, 19 novembre 1883.djvu/6

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C’est là, j’en conviens, le moindre souci des romanciers. Ils s’adressent à la tête seule de la nation ; que les politiciens s’occupent du bas.

Et soyez certain, mon cher confrère, que, malgré tout votre talent, le peuple se moque passablement de vos livres, qu’il ne les a pas lus, et que vos vrais appréciateurs sont ceux-là même qui méprisent le plus la politique.



Le peuple ! Certes, il mérite l’intérêt, la pitié, les efforts ; mais le vouloir tout-puissant, le vouloir dirigeant équivaut à réaliser le vieux dicton populaire : mettre la charrue avant les bœufs.

Il est malheureux en raison même de sa grossièreté. À mesure qu’il s’affine, il cesse de souffrir.

À l’automne, je voulus aller voir ces misérables qui travaillent dans les mines ; ces forçats condamnés à la nuit éternelle, à la nuit humide des puits profonds.

Je sortais du Creusot cet admirable enfer. Là les hommes, l’élite des ouvriers, vivent paisibles dans cette fournaise allumée jour et nuit, qui brûle leur chair, leurs yeux, leur vie. Demeurer huit jours auprès de ces brasiers effroyables semblerait à l’habitant des villes un supplice au-dessus des forces humaines. Eux, ces jeunes gens, passent leur existence dans ce feu, et ils ne se plaignent point, uniquement parce qu’ils travaillent, qu’ils sont intelligents, instruits, qu’ils s’effor-