roidies ! Or, à peine avaient-ils cessé de se mouvoir, de faire circuler, dans leur chair gelée, leur sang presque inerte, qu’un engourdissement invincible les figeait, les clouait à terre, fermait leurs yeux, paralysait en une seconde cette mécanique humaine surmenée. Et ils s’affaissaient un peu, le front sur leurs genoux, sans tomber tout à fait pourtant, car leurs reins et leurs membres devenaient immobiles, durs comme du bois, impossibles à plier ou à redresser.
Et nous autres, plus robustes, nous allions toujours, glacés jusqu’aux moelles, avançant par une force de mouvement donné, dans cette nuit, dans cette neige, dans cette campagne froide et mortelle, écrasés par le chagrin, par la défaite, par le désespoir, surtout étreints par l’abominable sensation de l’abandon, de la fin, de la mort, du néant.
J’aperçus deux gendarmes qui tenaient par le bras un petit homme singulier, vieux, sans barbe, d’aspect vraiment surprenant.
Ils cherchaient un officier, croyant avoir pris un espion.
Le mot « espion » courut aussitôt parmi les traînards et on fit cercle autour du prisonnier. Une voix cria : « Faut le fusiller ! » Et tous ces soldats qui tombaient d’accablement, ne tenant debout que parce qu’ils s’appuyaient sur leurs fusils, eurent soudain ce frisson de colère furieuse et bestiale qui pousse les foules au massacre.
Je voulus parler ; j’étais alors chef de bataillon ; mais on ne reconnaissait plus les chefs, on m’aurait fusillé moi-même.
Un des gendarmes me dit :
— Voilà trois jours qu’il nous suit. Il demande à tout le monde des renseignements sur l’artillerie.
J’essayai d’interroger cet être :