Page:Maupassant - Œuvres posthumes, I, OC, Conard, 1910.djvu/31

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L’AVEUGLE.




Qu’est-ce donc que cette joie du premier soleil ? Pourquoi cette lumière tombée sur la terre nous emplit-elle ainsi du bonheur de vivre ? Le ciel est tout bleu, la campagne toute verte, les maisons toutes blanches ; et nos yeux ravis boivent ces couleurs vives dont ils font de l’allégresse pour nos âmes. Et il nous vient des envies de danser, des envies de courir, des envies de chanter, une légèreté heureuse de la pensée, une sorte de tendresse élargie, on voudrait embrasser le soleil.

Les aveugles sous les portes, impassibles en leur éternelle obscurité, restent cahnes comme toujours au milieu de cette gaieté nouvelle, et, sans comprendre, ils apaisent à toute minute leur chien qui voudrait gambader.

Quand ils rentrent, le jour fini, au bras d’un jeune frère ou d’une petite sœur, si l’enfant dit : « II a fait bien beau tantôt ! », l’autre répond : « Je m’en suis bien aperçu, qu’il faisait beau, Loulou ne tenait pas en place. »

J’ai connu un de ces hommes dont la vie fut un des plus cruels martyres qu’on puisse rêver.