Page:Maupassant - Œuvres posthumes, I, OC, Conard, 1910.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

put inspirer. Et, pour se payer de ce qu’il mangeait, on fit de ses repas des heures de plaisir pour les voisins et de supplice pour l’impotent.

Les paysans des maisons prochaines s’en venaient à ce divertissement ; on se le disait de porte en porte, et la cuisme de la ferme se trouvait pleine chaque jour. Tantôt on posait sur la table, devant son assiette où il commençait à puiser le bouillon, quelque chat ou quelque chien. La bête avec son instinct flairait l’infirmité de l’homme et, tout doucement, s’approchait, mangeait sans bruit, lapant avec déhcatesse ; et quand un clapotis de langue un peu bruyant avait éveillé l’attention du pauvre diable, elle s’écartait prudemment pour éviter le coup de cuiller qu’il envoyait au hasard devant lui.

Alors c’étaient des rires, des poussées, des trépignements des spectateurs tassés le long des murs. Et lui, sans jamais dire un mot, se remettait à manger de la main droite, tandis que, de la gauche avancée, il protégeait et défendait son assiette.

Tantôt on lui faisait mâcher des bouchons, du bois, des feuilles ou même des ordures, qu’il ne pouvait distinguer.

Puis on se lassa même des plaisanteries ; et le beau-frère enrageant de le toujours nourrir, le frappa, le gifla sans cesse, riant des efforts inutiles de l’autre pour parer les coups ou les rendre. Ce fut alors un jeu nouveau : le jeu des claques. Et les valets de charrue, le goujat, les servantes, lui lançaient à tout moment leur main par la figure, ce qui imprimait à ses paupières un mouvement précipité. Il ne savait où se cacher et demeurait sans cesse les bras étendus pour éviter les approches.

Enfin, on le contraignit à mendier. On le postait sur les routes les jours de marché, et, dès qu’il enten-