Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/170

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- Oh! jamais.

- Tais-toi donc.

- Jamais.

- Mais, farceur, tu es ici depuis une demi-heure et tu ne m'as encore parlé que d'elle.

- Pardon, je t'ai parlé de moi. J'ai fait ce que tout le monde fait.

- Oui, mais à propos d'elle.

- Comme je t'aurais parlé de moi à propos de voyage si je revenais de la Chine ou du Japon, ce qui ne prouverait pas que j'y retournerai.

- Cela prouve que tu penses à elle.

- Oh! le soir seulement.

- Parbleu, c'est l'heure des dangers.

- Le matin, en m'éveillant, je suis ravi, ravi au fond de l'âme d'avoir rompu. Pendant toute la journée je ne songe pas plus à elle que si elle n'existait pas; puis, quand la nuit tombe, il me revient des souvenirs, quelques souvenirs intimes qui me mélancolisent un peu. Mais je la méprise tant, que c'est bien fini.

Ils furent distraits par l'entrée d'une foule. Le spectacle finissait; et tandis que le public qui se couche tôt regagnait les hôtels et les villas, le public qui se couche tard envahissait les salles de jeu. Des cocottes, les vieilles cocottes des plages et des casinos, celles de Biarritz, de Dieppe et de Monte-Carlo, les légendaires guetteuses de joueurs en veine, les soeurs Delabarbe, Rosalie Durdent, la grande Marie Bonnefoy, en tenue de chasse, coiffées de chapeaux visibles comme des phares au-dessus de toutes les têtes, arrivaient, entourées d'hommes qui, grands, petits, gros ou maigres, portaient, collée à leurs dos osseux ou bombés par leurs formes grasses, la drolatique petite veste inventée, dit-on, par le futur roi d'Angleterre.