Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/193

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les joues pâles de la comtesse, car elle commençait à soupçonner l’attention de son père pour la servante, et le consentement de celle-ci.

Depuis la mort de sa femme, arrivée voici juste neuf ans, M. Boutemart, qui ne quittait jamais Dieppedalle et ses établissements chimiques, avait eu dans le pays quelques relations, découvertes par hasard, révélant chez lui des goûts faciles, presque vulgaires, et dont Mme de Brémontal souffrait beaucoup, dans son orgueil de fille et dans cette petite vanité nobiliaire, très légère, entrée en elle quand elle devint comtesse et châtelaine du pays.

Le petit Henri embrassa sa mère et son grand-père, puis s’en alla en envoyant encore des baisers de la main.

Comme il sortait, la cloche de la porte d’entrée tinta, annonçant l’arrivée des deux derniers convives. Ils parurent. L’abbé Marvaux entra le premier, grand, maigre, très droit, avec une figure marquée de rides profondes sur le front et sur les joues. On voyait, on devinait que cet homme avait souffert beaucoup, et qu’il devait être aussi rongé par une âme de penseur triste, une de ces âmes qui font de bonne heure aux visages des masques de fatigue.

D’origine noble, car il se nommait M. de Marvaux, il était un peu cousin, de très loin, des Brémontal. Il avait commencé sa vie dans la carrière militaire, autant pour occuper son désœuvrement que pour répondre à un besoin d’action violente, de lutte et de vague héroïsme, qu’il sentait en lui. Instruit, nourri de philosophie, il éprouva bientôt un grand ennui de l’existence oisive des garnisons, et ce fut avec plaisir qu’il partit, en 1859, pour la campagne d’Italie. Il prit part, bravement, à plusieurs batailles, mais par un bizarre revirement d’esprit, par une de ces étranges