Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/195

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Le docteur Paturel qui le suivait était un petit homme bedonnant, qui aurait été tout à fait chauve s’il n’avait gardé sur les tempes, au bord du crâne, deux plaques de cheveux blancs frisés pareilles à deux houppes à poudre de riz.

Dès qu’ils furent entrés, on annonça le dîner servi, et la comtesse de Brémontal, prenant le bras du médecin, passa dans la salle à manger.

A peine assis devant son assiette de potage, le prêtre demanda :

— Vous savez qu’ils sont à Rouen.

Des « oui » murmurés lui répondirent. Puis M. Boutemart interrogea :

— Avez-vous des détails récents ?

— Quelques-uns. Les trois corps de l’armée envahissante se sont présentés, juste au même moment, à trois portes de la cité, et les avant-gardes se sont rencontrées place de l’Hôtel-de-Ville, presque à la même minute. Le médecin ajouta :

— J’étais hier à Bourg-Achard quand j’ai vu passer l’armée française en retraite.

Et ils discutèrent sur une masse de détails, à mi-voix, comme s’ils eussent senti quelque part autour d’eux la présence redoutable des vainqueurs.

— Aujourd’hui, dit le prêtre, voici la première fois, depuis que j’ai quitté l’armée, que je regrette de n’être plus soldat.

La jeune femme demanda, secouée d’angoisse :

— Croyez-vous qu’ils viennent par ici ?

L’abbé Marvaux l’affirma, puis reprit :

— Vous êtes encore sans nouvelles de votre mari, madame la comtesse ?

Elle murmura, désespérée :

— Oui, monsieur le curé.