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Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/28

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Patissot fut délicieusement ému quand il se trouva seul, sous l'ombre touffue du bois, à cette heure langoureuse du crépuscule, avec cette petite femme inconnue qui s'appuyait à son bras. Et, pour la première fois de sa vie égoïste, il pressentit le charme des poétiques amours, la douceur des abandons, et la participation de la nature à nos tendresses qu'elle enveloppe. Il cherchait des mots galants, qu'il ne trouvait pas, d'ailleurs. Mais une grand'route se montra, des maisons apparurent à droite ; un homme passa. Patissot, tremblant, demanda le nom du pays. "Bougival. - Comment ! Bougival ? vous êtes sûr ? - Parbleu ! j'en suis."

La femme riait comme une petite folle. - L'idée de son mari perdu la rendait malade de rire. - On dîna au bord de l'eau, dans un restaurant champêtre. Elle fut charmante, enjouée, racontant mille histoires drôles, qui tournaient un peu la cervelle de son voisin. - Puis, au départ, elle s'écria : "Mais j'y pense, je n'ai pas le sou, puisque mon mari a perdu son portefeuille." - Patissot s'empressa, ouvrit sa bourse, offrit de prêter ce qu'il faudrait, tira un louis, s'imaginant qu'il ne pourrait présenter moins. Elle ne disait rien, mais elle tendit la main, prit l'argent, prononça un "merci" grave qu'un sourire suivit bientôt, noua en minaudant son chapeau devant la glace, ne permit pas qu'on l'accompagnât, maintenant qu'elle savait où aller, et partit finalement comme un oiseau qui s'envole, tandis que Patissot, très morne, faisait mentalement le compte des dépenses de la journée.

Il n'alla pas au ministère le lendemain, tant il avait la migraine.


III Chez un ami