Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/40

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Boivin releva la tête : "Je vous prierai de ne pas me déranger, monsieur Patissot ; nous ne sommes pas ici pour nous amuser." Cependant il amorça la ligne, que Patissot lança imitant avec soin tous les mouvements de son ami.

La barque contre la chute d'eau dansait follement ; des vagues la secouaient, de brusques retours de courant la faisaient virer comme une toupie, quoiqu'elle fût amarrée par les deux bouts ; et Patissot, tout absorbé par la pêche, éprouvait un malaise vague, une lourdeur de tête, un étourdissement étrange.

On ne prenait rien cependant : le petit père Boivin, très nerveux, avait des gestes secs, des hochements de front désespérés ; Patissot en souffrait comme d'un désastre ; seul le gros monsieur, toujours immobile, fumait tranquillement, sans s'occuper de sa ligne. A la fin, Patissot, navré, se tourna vers lui, et, d'une voix triste :

- Ça ne mord pas ?

L'autre répondit simplement :

- Parbleu !

Patissot, étonné, le considéra.

- En prenez-vous quelquefois beaucoup ?

- Jamais !

- Comment, jamais ?

Le gros homme, tout en fumant comme une cheminée de fabrique, lâcha ces mots, qui révolutionnèrent son voisin :

- Ça me gênerait rudement si ça mordait. Je ne viens pas pour pêcher, moi, je viens parce qu'on est très bien ici : on est secoué comme en mer ; si je prends une ligne, c'est pour faire comme les autres.

M. Patissot, au contraire, ne se trouvait plus bien du tout. Son malaise, vague d'abord, augmentant