Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/51

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trop brusque, au-dessus de la lèvre supérieure, qu'ombrageait une moustache assez épaisse ; et le menton entier était couvert de barbe taillée près de la peau. Le regard noir, souvent ironique, pénétrait ; et l'on sentait que là derrière une pensée toujours active travaillait, perçant les gens, interprétant les paroles, analysant les gestes, dénudant le cœur. Cette tête ronde et forte était bien celle de son nom, rapide et court, aux deux syllabes bondissantes dans le retentissement des deux voyelles.

Quand le journaliste eut terminé son boniment, l'écrivain lui répondit qu'il ne voulait point s'engager ; qu'il verrait cependant plus tard ; que son plan même n'était point encore suffisamment arrêté. Puis il se tut. C'était un congé, et les deux hommes, un peu confus, se levèrent. Mais un désir envahit Patissot : il voulait que ce personnage si connu lui dît un mot, un mot quelconque, qu'il pourrait répéter à ses collègues ; et, s'enhardissant, il balbutia : "Oh ! Monsieur, si vous saviez combien j'apprécie vos ouvrages !" L'autre s'inclina, mais ne répondit rien. Patissot devenait téméraire, il reprit : "C'est un bien grand honneur pour moi de vous parler aujourd'hui." L'écrivain salua encore, mais d'un air roide et impatienté. Patissot s'en aperçut, et, perdant la tête, il ajouta en se retirant : "Quelle su-su-superbe propriété !"

Alors le propriétaire s'éveilla dans le cœur indifférent de l'homme de lettres qui, souriant, ouvrit le vitrage pour montrer l'étendue de la perspective. Un horizon démesuré s'élargissait de tous les côtés, c'était Triel, Pisse-Fontaine, Chanteloup, toutes les hauteurs de l'Hautrie, et la Seine, à perte de vue. Les