Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/88

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nos projets grandioses, nos compagnes vaillantes. Soyez, devenez véritablement une moitié de l'humanité au lieu de n'en être qu'une parcelle."

Et il se lança dans la politique transcendante, développant des projets larges comme le monde, parlant de l'âme des sociétés, prédisant la République universelle édifiée sur ces trois bases inébranlables : la liberté, l'égalité, la fraternité.

Quand il se tut, la salle faillit crouler sous les bravos. M. Patissot, stupéfait se tourna vers son voisin.

"N'est-il pas un peu fou ?"

Le vieux monsieur répondit :

"Non, Monsieur ; ils sont des millions comme ça. C'est un effet de l'instruction."

Patissot ne comprenait pas.

"De l'instruction ?

- Oui ; maintenant qu'ils savent lire et écrire, la bêtise latente se dégage.

- Alors, Monsieur, vous croyez que l'instruction... ?

- Pardon, Monsieur, je suis un libéral, moi. Voici seulement ce que je veux dire : Vous avez une montre, n'est-ce pas ? Eh bien, cassez un ressort, et allez la porter à ce citoyen Cornut en le priant de la raccommoder. Il vous répondra, en jurant, qu'il n'est pas horloger. Mais, si quelque chose se trouve détraqué dans cette machine infiniment compliquée qui s'appelle la France, il se croit le plus capable des hommes pour la réparer séance tenante. Et quarante mille braillards de son espèce en pensent autant et le proclament sans cesse. Je dis, Monsieur, que nous manquons jusqu'ici de classes dirigeantes nouvelles c'est-à-dire d'hommes nés de pères ayant manié le pouvoir, élevés dans cette idée, instruits spécialement