Page:Maupassant - Au soleil, OC, Conard, 1908.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
AU SOLEIL.

de soins, car elle sent l’ail, la gueuse, et mille choses encore. Elle sent les innombrables nourritures que grignotent les Nègres, les Turcs, les Grecs, les Italiens, les Maltais, les Espagnols, les Anglais, les Corses, et les Marseillais aussi, pécaïre, couchés, assis, roulés, vautrés sur les quais.

Dans le bassin de la Joliette les lourds paquebots, le nez tourné vers l’entrée du port, chauffent, couverts d’hommes qui les emplissent de paquets et de marchandises.

L’un d’eux, l’Abd-el-Kader, se met tout à coup à pousser des mugissements, car le sifflet n’existe plus, il est remplacé par une sorte de cri de bête, une voix formidable qui sort du ventre fumant du monstre.

Le vaste navire quitte son point d’attache, passe doucement au milieu de ses frères encore immobiles, sort du port, et, brusquement, le capitaine ayant jeté par son porte-voix qui descend dans les profondeurs du bateau, le commandement : « En route », il s’élance, pris d’une ardeur, ouvre la mer, laisse derrière lui un long sillage, pendant que fuient les côtes et que Marseille s’enfonce à l’horizon.

C’est l’heure du dîner, à bord. Peu de