Page:Maupassant - Bel-Ami, OC, Conard, 1910.djvu/15

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buveurs sous la lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée. Devant eux, sur de petites tables carrées ou rondes, les verres contenaient des liquides rouges, jaunes, verts, bruns, de toutes les nuances ; et dans l’intérieur des carafes on voyait briller les gros cylindres transparents de glace qui refroidissaient la belle eau claire.

Duroy avait ralenti sa marche, et l’envie de boire lui séchait la gorge.

Une soif chaude, une soif de soir d’été le tenait, et il pensait à la sensation délicieuse des boissons froides coulant dans la bouche. Mais s’il buvait seulement deux bocks dans la soirée, adieu le maigre souper du lendemain, et il les connaissait trop, les heures affamées de la fin du mois.

Il se dit : « Il faut que je gagne dix heures et je prendrai mon bock à l’Américain. Nom d’un chien ! que j’ai soif tout de même ! » Et il regardait tous ces hommes attablés et buvant, tous ces hommes qui pouvaient se désaltérer tant qu’il leur plaisait. Il allait, passant devant les cafés d’un air crâne et gaillard, et il jugeait d’un coup d’œil, à la mine, à l’habit, ce que chaque consommateur devait porter d’argent sur lui. Et une colère l’envahissait contre ces gens assis et tranquilles. En fouillant leurs poches, on trouverait de l’or,