Aller au contenu

Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
la dot

elle, puisqu’elle n’avait plus de voisins. L’homme dit, pour la troisième fois :

— Vaugirard !

Alors elle demanda :

— Où sommes-nous ?

Il répondit d’un ton bourru :

— Nous sommes à Vaugirard, parbleu, voilà vingt fois que je le crie.

— Est-ce loin du boulevard ? dit-elle.

— Quel boulevard ?

— Mais le boulevard des Italiens.

— Il y a beau temps qu’il est passé !

— Ah ! Voulez-vous bien prévenir mon mari ?

— Votre mari ? Où ça ?

— Mais sur l’impériale.

— Sur l’impériale ! v’là longtemps qu’il n’y a plus personne.

Elle eut un geste de terreur.

— Comment ça ? Ce n’est pas possible. Il est monté avec moi. Regardez bien ; il doit y être !

Le conducteur devenait grossier :

— Allons, la p’tite, assez causé, un homme de perdu, dix de retrouvés. Décanillez, c’est fini. Vous en trouverez un autre dans la rue.

Des larmes lui montaient aux yeux, elle insista :

— Mais, monsieur, vous vous trompez, je vous assure que vous vous trompez. Il avait un gros portefeuille sous le bras.

L’employé se mit à rire :

— Un gros portefeuille. Ah ! oui, il est descendu à la Madeleine. C’est égal, il vous a bien lâchée, ah ! ah ! ah !…