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le lit 29

D’après les autres, elle s’était retirée chez ses parents, cultivateurs aux environs d’Yvetot.

Il envoya même son ordonnance à la mairie pour consulter le registre des décès. Le nom de sa maîtresse ne s’y trouva pas.

Et il eut un grand chagrin dont il faisait parade. Il mettait même au compte de l’ennemi son malheur, attribuait aux Prussiens qui avaient occupé Rouen la disparition de la jeune femme, et déclarait :

— À la prochaine guerre, ils me le payeront, les gredins.

Or, un matin, comme il entrait au mess à l’heure du déjeuner, un commissionnaire, vieil homme en blouse, coiffé d’une casquette cirée, lui remit une enveloppe. Il l’ouvrit et lut :

«  Mon chéri,

«  Je suis à l’hôpital, bien malade, bien malade. Ne reviendras-tu pas me voir ? Ça me ferait tant plaisir !

« Irma. »

Le capitaine devint pâle, et, remué de pitié, il déclara :

— Nom de nom, la pauvre fille. J’y vais aussitôt le déjeuner.

Et pendant tout le temps il raconta à la table des officiers qu’Irma était à l’hôpital ; mais qu’il l’en ferait sortir, cré mâtin. C’était encore la faute de ces sacré nom de Prussiens. Elle avait dû se trouver seule, sans le sou, crevant de misère, car on avait certainement pillé son mobilier.