Aller au contenu

Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
la chevelure

Le médecin me dit : « Il a de terribles accès de fureur, c’est un des déments les plus singuliers que j’ai vus. Il est atteint de folie érotique et macabre. C’est une sorte de nécrophile. Il a d’ailleurs écrit son journal qui nous montre le plus clairement du monde la maladie de son esprit. Sa folie y est pour ainsi dire palpable. Si cela vous intéresse vous pouvez parcourir ce document. » Je suivis le docteur dans son cabinet, et il me remit le journal de ce misérable homme. « Lisez, dit-il, et vous me direz votre avis. »

Voici ce que contenait ce cahier :

Jusqu’à l’âge de trente-deux ans, je vécus tranquille, sans amour. La vie m’apparaissait très simple, très bonne et très facile. J’étais riche. J’avais du goût pour tant de choses que je ne pouvais éprouver de passion pour rien. C’est bon de vivre ! Je me réveillais heureux, chaque jour, pour faire des choses qui me plaisaient, et je me couchais satisfait, avec l’espérance paisible du lendemain et de l’avenir sans souci.

J’avais eu quelques maîtresses sans avoir jamais senti mon cœur affolé par le désir ou mon âme meurtrie d’amour après la possession. C’est bon de vivre ainsi. C’est meilleur d’aimer, mais terrible. Encore, ceux qui aiment comme tout le monde doivent-ils éprouver un ardent bonheur, moindre que le mien peut-être, car l’amour est venu me trouver d’une incroyable manière.

Étant riche, je recherchais les meubles anciens et